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Jeanne et les brigands

          Jeanne d’Arc nous a laissé en héritage l’enseignement qu’un cœur vaillant, qui porte une foi fervente en étendard, n’a nul besoin qu’on le reconnaisse en fente ou en dard. Toutefois, le patriarcat la fit bien vite traverser l’Achéron. Coquin de sort, Charon la guida alors en charbon.

D’autres pucelles ont marqué leur temps, dont celle de cette histoire qui se raconte de masure en chaumière, et de petite fille en grand-mère. Si la localisation précise de cette aventure n’est que rarement contée, ou bien arrangée selon celui qui la conte, il est néanmoins communément admis que l’héroïne enfant s’appelait, elle aussi, Jeanne.

De basse naissance, Jeanne grandit entourée de bestiaux, accomplissant maints travaux. Mornes jours, courtes nuits, peu d’amour, pas un lit. Si la pauvrette avait eu une quelconque embarcation, elle aurait pris la fuite, mais seules ses larmes affluaient au Cocyte. Un jour de mars, alors qu’elle ramassait des fagots, elle surprit une troupe de bandits qui firent halte là. Jeanne, d’abord apeurée, voulut regagner son misérable foyer. Mais, pour une raison qu’elle ne s’expliqua pas, mit bas son fardeau et observa la troupe, tapie dans la bruyère. L’un d’eux semblait plus fort, et c’est à lui qu’ils semblaient s’en remettre. Elle crut entendre son nom : Éphéor.

C’est ce jour-là qu’elle décida d’abandonner père et mère, car voilà, Jeanne voulait vivre d’aventures et de combats, non de pourritures et de verrats. Hélas, elle n’était toujours pas en fleurs. Et puis, fluette et de courte mine, voudrait-elle jouer les mercenaires qu’on décèlerait bien vite son pantomime.

Elle les suivit des jours durant. De camp en camp, elle observait leurs coutumes, apprenant à singer ces rétiaires qu’elle voulait pour compères. De sa dague émoussée, elle coupa sa chevelure. D’un plastron abîmé, elle couvrit sa stature. Surtout, elle bandait sa poitrine, escamotant les traits qui la trahissaient comme féminine.

Un soir d’avril, alors qu’elle observait encore, dague en main, rêve en tête, elle se fit doubler par un spectre nocturne... C’était un furtif assassin qui voulait que le Roi Lear expire : il allait tuer le chef des brigands. L’homme, nerveux, avait pris Jeanne, à cause de sa taille, pour un faon de Clisson, ou n’importe quel autre animal égaré. Mais l’enfant était vive, et elle sut qu’en lui résidait sa chance. Alors, elle le suivit. Ses petits pas se perdaient dans les traces de bottes de l’homme en noir, avec l’ombre duquel elle se faisait une couverture. Alors que le vil allait occire, Jeanne lui planta le daguet en goulet, et son râle fit lever toute la troupe qui se figea, stupéfaite.

Voilà que Jeanne se trouvait pistil d’une fleur de lames. On débattit alors, faisant grand bruit, sur le sort de la candide amie. Heureusement pour elle, l’ennemi portait sur lui le sceau de l’infamie : les bandits reconnurent en lui un égorgeur. Alors, le roi bandit Éphéor décida d’honorer celui qui lui avait sauvé la vie, en lui cédant une place en confrérie :

- Tu es bien fluet, garçon du bosquet, mais ton geste, dieu m’en soit témoin, jamais je ne l’oublierai, dit-il en lui tirant révérence. 

Les mois passèrent, de pillage en baroud, Jeanne se durcit les coudes, et on lui trouva un remarquable talent pour piquer ses adversaires avec célérité. Les butins farouchement amassés étaient devenus suffisants pour regagner la forteresse, mais le chemin était encore long. Or, si le roi bandit voyait en elle un sauveur et un ami, ce n’était pas une pensée unanime dans la confrérie. On douta bien assez tôt que ce fût dans un chou que la petite créature naquît.

- Pourquoi ne se lave-t-il jamais avec nous autres ? disait l’un.

- Je n’ai jamais vu si petiot garçonnet, répliquait l’autre.

- Il est si précieux qu’il voyage à trois lieux pour pisser, ajoutait-on. 

Le roi bandit mit fin aux digressions des mutins en leur rappelant qu’aucun d’entre eux n’avait jamais sauvé son noble fessier, et que quiconque en voulait au garçonnet devrait tirer l’épée contre lui. Mais personne n’avait pareille escrime, et ils ravalèrent bien vite leur haro.

Jeanne percevait cependant sa place comme vacillante, et les regards suspicieux des autres brigands se faisaient de plus en plus lourds. Un jour, Pithios, le bras droit d’Éphéor, conspirateur à ses heures, l’a suivie jusqu’à la rivière. Elle, se croyant seule, voulut se baigner. Et tandis qu’elle se déshabillait, elle remarqua son pisteur. Trop tard, car il vit le bandeau qui contenait sa poitrine naissante.

- Qu’est-ce que cet artifice, freluquet ? Veux-tu y cacher tes mamelles de jeune louve ?

- Tu divagues, ami, c’est une blessure que je dissimule et que je lave lorsque je le peux.

- Tes mensonges rendront leur dernier souffle avant que nous gagnions le fort... 

Le gredin rebroussa chemin sur cette ultime parole. Jeanne, qui comptait ses heures, pensait à ne pas revenir. Éphéor avait juré de protéger ce fils apporté par la providence, mais que ferait-il quand ses frères, ces voleurs vertueux, voudraient lui infliger une pénitence ?

Alors qu’elle se tenait la tête, maudissant Pithios, Jeanne entendit force fracas et cris. Elle comprit qu’il s’agissait du campement, mais elle était loin. Elle courut à travers la végétation un moment, entendant toujours les cliquetis et les entrechocs. Lorsqu’elle y parvint, le combat faisait encore rage, et elle se jeta dans la mêlée. Elle piquait les ennemis de sa dague, les transperçait, les perforait. Elle tua sans relâche, mais elle fut balayée par une masse d’armes qui lui brisa le buste et envoya son petit corps s’écraser contre un arbre. Alors que sa vision s’obscurcissait, elle eut un sentiment étrange venu d’entre ses jambes.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Pithios la toisait d’en haut. Le silence était revenu, et elle était installée dans une couche de paillage, nue, si ce n’est un bandage.

Hélas, la vérité est une catin : nue, elle se donne à tous.

- Éphéor, rendez-vous à l’évidence : le garçon, votre sauveur, est une femme, ce à quoi la troupe entière acquiesça. 

Heureusement, tout le monde ne peut pas se payer la vérité, et nombreux sont les yeux qui restent chastes devant sa nudité, faute d’une volonté ferme de l’embrasser.

- Pithios, voyez la nature de l’estocade. L’ennemi lui aura fendu la pine avec une petite hachette. Messieurs, gardez-vous de marcher sur l’attirail de notre ami, il doit traîner par terre, voilà tout.

Vous avez aimé ?

Ainsi va Jeanne à l’aventure ! Héroïne courageuse, elle défie le patriarcat médiéval. Avec Éphéor et sa dague, elle vit une épopée de combats et de bravoure. Malgré les soupçons de Pithios, sa légende perdure dans la confrérie. Laquelle de la féminité ou de la vérité triomphera ?

Si vous avez aimé cette ce conte médiéval n’hésitez pas à :

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  • Picorer d’autres histoires : découvrez « Effeuillage par degrés » – déjà en libre lecture sur La Plume du Coq.

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