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Deux hommes à un buffet.

          Ah ! La diplomatie ! Voilà l’une de ces affaires humaines qui ne connaît pas de science. Cet art, dit-on, de l’escroquerie courtoise, est fille des élégantes roublardises de son père : Talleyrand. Celui-ci, ministre de feu le roi, de la jeune république et du consulat, aurait inventé cette discipline, et serait seul à en connaître les arcanes. Enfin, c’est ce qu’il se dit. Il se dit aussi qu’il avait un grand sens du vent, et ayant servi tous les régimes, il s’était servi à tous les râteliers. Enfin, cela n’exclut pas son adresse, ni surtout son courage. Car il se mit au service de causes pour lesquelles il combattit bravement.

Il est beaucoup plus rare d’entendre un historien se répandre sur l’habileté de son crétin de cousin : le secrétaire d’État Tallégland. Celui-ci aurait eu bien moins que sa part de talent. Pire, il aurait été un lâche patenté. Voici, peut-être, une anecdote qui nous permettra de mesurer les inégalités de génie que connut cette famille. Et puis, surtout, la disparité de leur vaillance.

Une guerre sans fin, longue comme un jour sans pain, rongeait la France et ce cancer avait pour nom Angleterre. Mais le conflit avait ses partisans, trop heureux de vendre à la jeune république des canons, des bateaux, des bandages, des rations et des paquetages. Vaincre outre-Manche n’était donc pas la seule mission nationale : à l’intérieur du pays, et même du gouvernement, il y avait des ennemis.

Monsieur de Talleyrand œuvrait depuis longtemps pour mettre fin aux massacres. Beaucoup le savaient retors, mais pour conserver sa belle pureté devant les diplomates anglais, il confia à son cousin Tallégland de jouer les fauteurs de guerre. En tout cas, de faire semblant ! Pour écouter ici et là, connaître, apprendre, et savoir qui, dans la mère patrie, jouait Londres contre Paris.

Notre Tallégland allait partout, parcourant les salons, fréquentant les parlements. Il jouait les apôtres d’Arès, disant qu’il ne parvenait à aucune joie sans conflit, et puis qu’il fallait faire la peau à ces salauds de Gallois, quand il ne racontait pas pis sur l’Écosse.

Mais ce Monsieur n’avait pas la finesse d’esprit de son cousin. Et en vérité, dès la semaine suivante, il s’adonnait déjà avec beaucoup moins de ferveur à l’interprétation de son rôle. C’est qu’il s’attirait quelques ennuis en affichant ainsi ses opinions belliqueuses.

Talleyrand, de son côté, tout adroit qu’il était, menait son action à la perfection. Dans sa poche, il avait des ligues, des clubs, des patrons, et d’autres encore. Bientôt il parviendrait à un traité, mais il restait à l’imposer aux Anglais. Leur roi accepterait si on lui démontrait l’imminence d’un retournement dans les alliances en Europe. Or, une telle preuve existait, obtenue par un espion gascon, au prix de sa vie. Cependant, il y avait un problème. Voilà : cette preuve qui mettrait fin à la guerre était détenue par son rival éternel, Fouché, le ministre de la police. La dernière clé de tout ce bazar était aux mains d’un individu dont personne ne savait s’il était un sectateur de la chose militaire, ou s’il ambitionnait pour la France la pacification de ses relations. Malheureusement, l’on fait difficilement plus secret qu’un Fouché. Malheureusement, l’on fait aussi difficilement plus terrifiant. Chargé de mettre fin à des émeutes, il avait noyé une ville sous un flot de sang, au bain duquel il fut baptisé « le mitrailleur de Lyon », pour ne pas dire « le boucher ». Tous le craignaient, car chacun savait qu’il pouvait vous flatter d’une main, tandis que l’autre signait le décret de votre mort. Tous le craignaient, sauf Talleyrand. Enfin, c’est à ce genre d’être humain que tenait la solution des événements.

Notre ministre des affaires étrangères comptait donc sur son cousin pour lui apporter cette information manquante : à quel camp appartenait Fouché. C’est au bal de Madame de Staël que Talleyrand se décida à interroger Tallégland, après avoir vu celui-ci tenir une longue conversation avec Fouché. Dès le départ de ce dernier, le secrétaire d’État s’assit près du buffet, se tenant là, seul et pâle, l’esprit dans le vague. Talleyrand s’approcha discrètement, pour n’éveiller aucun soupçon chez personne. Tandis qu’il mangeait quelques mignardises, il choisissait ses mots. Il fallait en effet, pour les yeux du public, se montrer sarcastique. On ne peut point entamer une conversation avec un opposant comme s’il était un frère. Il fallait, pour que les apparences fussent sauvées, agiter les raisons de l’adversité. Alors il lança :

- Ah ah ! Monsieur de Tallégland, mon va-t-en-guerre de cousin, vous ici ! Hélas pour vous, vos affaires sentent mauvais : j’ai eu vent de bruits de paix. 

Mais le pauvre secrétaire d’État, qui venait de discuter avec l’horrible boucher, avait tout oublié de son rôle :

- Pardonnez-moi pour cela ! C’est à cause de l'autre taré de Fouché : je me suis chié dessus. Et oui, je vous promets d’aller laver mes affaires rapidement. Mais là, c'est encore légèrement chaud, alors j'en profite un peu, et puis j'y vais.

Vous avez aimé ?

Ainsi va la diplomatie à la française ! Les fourberies de Talleyrand, Fouché le terrifiant et les flatulences de Tallégland composent une grande fresque grivoise sur fond d’Histoire nationale. Derrière la bravoure de chaque grand homme se cache un cousin débile, lequel cache sous lui les excès de sa lâcheté.

Si vous avez aimé cette anecdote sur les affres de la jeune République, n’hésitez pas à :

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  • Picorer d’autres histoires : découvrez « Gloire et gastro : la guerre selon Brûlefion » – déjà en libre lecture sur La Plume du Coq.

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