Le porc qui avait vaincu la mort

          La mort, dit-on, n'épargne personne. Nombreux sont les fantasmes qui naquirent alors de l'esprit des hommes. Peut-on la vaincre ? Ne serait-ce que la défier, suffit-il d'un portrait ? Ou du courage de Prométhée ?

Tous ceux qui se sont essayés à déjouer les plans de la grande faucheuse s'y sont brûlé les ailes, pas même un Breton pour faire vaciller l'Ankou…

Bien que... il est peut-être une histoire sur un Breton qui... oh bien sûr je ne vous parle pas ici d'un immortel, ni même d'un demi-dieu. D'ailleurs au bar de Plougastoc on l'appelait « demi-deux », parce qu'il prenait toujours ses demis de old lager par paire. Son vrai nom était Marcel Brûlefion, aîné d'une fratrie de trois, l'un des frères était officier de troupe de marine, et l'autre, dans les ordres. Marcel lui était resté à la ferme familiale, et demeurait seul depuis le décès de sa mère. Le père lui, était mort d'une glissade sur une bouse de cochon. Marcel vivait chichement et il se disait au village qu'il daubait sacrément. C'est bien simple lorsqu'il arrivait au troquet, une zone de dix bons pieds autour de lui se formait en no man's land.

- Po grand monde aujourd'hui ! — disait Marcel en toisant son double demi.

Pourquoi vous raconter tout cela ? Parce que comme je vous le disais, un beau jour, la Mort avec un grand M frappa le village. Le choléra... puisque c'est ainsi qu'on l'appela. Ce tueur assermenté fauchait par dizaine, il n'épargnait ni les femmes, ni les enfants, et la mort visitait bon train les chaumières du village, emportant au creux de ses ailes noires quiconque était infecté.

Cette engeance de maladie avait pour particularité de provoquer une diarrhée fulgurante à ses proies, ainsi que de nombreux vomissements qui jaillissaient tels fontaines aux tritons. La mort le savait bien et elle rôdait près des masures d'où elle observait avec obscénité les symptômes de la chute, s'invitant dès lors, à l'odeur...
C'est un soir particulièrement meurtrier où la Mort s'invita chez Marcel, attirée par le nez, qui lui indiquait, elle croyait, un prompt décès.

Marcel était au coin du feu, pot de chambre au côté, et il triturait frénétiquement son énorme pif, afin d'y trouver quelques pépites dont il serait l'unique pionnier. Il vit alors le large linceul noir flotter devant lui.

- Marcel... je l'ai senti, il est temps pour toi de venir et que tes souffrances cessent.

- Comment donc ? Euh j'my porte comme un charme pour dire

- Marcel... l'odeur de fin règne dans ton logis, la mort s'y est installée, je dois t'emporter.

- Ah non euh... ça c'est mes étrons dans la cheminée, ça tient chaud mais c'est vrai que ça blaire un peu !

La mort ne put s'empêcher de se tourner avec horreur vers le foyer qui carbonisait frénétiquement les restes de pot au feu du Marcel.

- Des...étrons... il suffit humain ! Tu empestes le vomi, depuis quand es-tu malade ?

- Oh pardon m'sieur Ankou ! Si j'avais su je me serais peigné, puis j'aurais passé ma deuxième chemise, celle-ci j'ai gerbé dessus hier au bar, et puis je l'ai pas changée parce qu'il y avait un restant de crotte de nez sur le col... et moi les crot…

- Cesse d'essayer de me berner ! Tout ceci est impossible ! Si tu es l'ignoble personnage que tu prétends être en me montrant ta chemise en horreur, qu'en est-il de ton slip ? Mortel.…

- Mon slip ? Oh bien sûr m'sieur Ankou, à l'entrée, vous vous êtes pris dedans en rentrant.

- Comment... tu mens, c'est un cotillon pour repousser les mouches !

- C'est sa fonction, ouaip... trois mois de chiure là-dessus, vous enroulez le tout et vous pendez ça su' l'poutre, pas même la plus grosse des mouches à merde n'y foutra sa trompe !

- Le dégueulasse originel... c'est impossible... il me faut te faire passer un ultime test Marcel, mortel des mortels, tu dois me montrer ta quique.

- Pour sûr euh m'sieur mort !

Marcel n'eut qu'à baisser un falzar autrefois écru mais maintenant plus sombre que le linceul de la Mort elle-même pour y dévoiler un gras quiquard clairsemé de poils où force morpions avaient bâti civilisation.

- Ah ! Tu n'es pas le dégueulasse prophétique, car ton sexe est dépourvu de fromage de bite !

- Oh m'sieur l'faucheur, je suis confus, je manque à tous mes devoirs.

Marcel présenta à la Mort une monumentale meule de pu d'bite fraîchement moulé, qu'il se réservait pour ce rude soir d'hiver, il en racla une lamée pour la proposer à son vis-à-vis. Mais la mort, horrifiée par la vision du légendaire « dégueulasse originel », s'évanouit par le conduit de cheminée dans un cri de rage qui fit frémir tout le village.

La paix et la vie purent revenir, mais personne ne sut jamais que ce renouveau, ils le devaient tous à Marcel Brûlefion.

Alors, quand vous vous maudirez d'avoir choisi cette feuille de papier toilette trop fine qui céda, rappelez-vous que l'immortalité n'est peut-être qu'à un doigt.