Ah ! Comme j'aime me rendre au café d'en face, il est à deux pas de mon appartement parisien et, c'est là que je rencontre pour mon plus grand bonheur ce vieux corniaud d'inspecteur ! Il a toujours de quoi alimenter mes canards avec ses histoires sordides. Ce jour-là, lorsque je passe les larges portes de l'immeuble je me rends compte que quelque chose est différent dans l'atmosphère. Ce n'est pas l'air pollué de la ville non, ni quelques substrats de gaz lacrymogène, c'est autre chose.
Je me rends donc au café d'en face d'un pas décidé, et alors que je gagne la terrasse, je solutionne l'affaire, c'est la gay pride ! De fiers chariots colorés défilent au nom de la liberté ! Quel pays merveilleux me dis-je en scrutant la terrasse afin de repérer l'inspecteur, qui a ses habitudes à cette heure.
Oui mais voilà, rien, pas un inspecteur dans le troquet. Soudain je comprends, le convoi doit passer précisément devant le café, et l'inspecteur, je le sais, n'est pas du genre à soutenir la cause. Non pas que ça le débecte, mais il ne comprend pas, c'est de l'agitation tout ça dirait-il ! Réfléchissant à voix haute, je l'aperçois enfin !
Il marche d'un pas décidé sur le trottoir d'une rue contournant le café, imper remonté jusqu'à la moustache, pipe en main, fusillant les festivités du regard, je peux voir ses pommettes bouger, il doit grommeler. Je tente ma chance, traverse et l'interpelle :
- Inspecteur ! Inspecteur ! Je sais qu'il m'a vu, son regard s'est légèrement tourné vers moi puis a repris sa rectiligne visée.
- Inspecteur Lecoq ! - Il s'arrête.
- Et bah mon vieux on peut dire que vous savez foirer une couverture !
- Je vous ai vu depuis le café !
- Tu parles d'un scoop…
- Allez inspecteur, je vous offre le café !
- Non merci.
- Un petit cognac alors ?
- ... J'aurais peur que mon moment soit gâché avec... foutus marginaux…
- Le convoi ? Enfin inspecteur, vivez avec votre temps !
- C'est vrai que vous, vous êtes parfaitement accordé à votre temps mon petit loustic, permettez-moi d'être dubitatif sur le concept, je reste en 1970 !
- Pensez-vous qu'en 1970 ils étaient moins nombreux ? Invisibilisés, oui sûrement, mais pas moins…
- Dah ça suffit ! Épargnez-moi vos violons aux crins de fion, et venez vous asseoir, je vais vous en raconter une qui va vous défriser les couilles mon petit père.
- Ah ! Sacré Lecoq Nous trouvons une place en terrasse, contre toute attente, l'inspecteur se place aux premières loges du convoi, il commente :
- Ah non mais... je peux vous dire que les tantouses, en 70, ça avait une autre gueule hein ! Fière moustache, perfecto en cuir, et ça ne se baladait pas en trémoussant du cul et en exhibant ses joyeuses.
- Étaient-ils plus acceptés, je veux dire, plus intégrés dans la population de par ce conformisme inspecteur ?
- Ah ! Soyez pas con mon vieux, on savait vivre en 1970, c'était l'époque des ratonnades ! Alors certes on n'avait pas encore assisté à ce déferlement d'excentricité gerbante, mais tout de même... un pédé c'était un pédé.
- Inspecteur !
- Tatatah commencez pas à vous indigner vous allez me rappeler ma femme. N'empêche que les tarlouzes, à l'époque, elles en avaient dans le ciboulot, et parfois plus que leurs bourreaux !
- Comment ça inspecteur ?
- Et bah ça devait être en 73, ce con de Mitterrand venait d'être réélu premier secrétaire, du coup ça dansait sec chez les tantines ! Alors les skinheads ils en ont eu marre de les voir se pavaner dans le marais. On a eu une recrudescence de tabassage, les mecs avaient foutu des points de contrôle partout dans les rues. Si tu en étais : tu ramassais. Et puis très vite, on a arrêté de voir se succéder des petits moustachus sous le choc au bureau des plaintes, et on a vu dans les rues de Paris de plus en plus de skinheads la gueule comme un compteur à gaz. Au début je me suis dit que les mangeurs de péteux s'étaient mis au karaté. Mais je me trompais ! Ces connards de nazi se tabassaient entre eux, mais ils voulaient pas nous dire le pourquoi du comment, honteux qu'ils étaient. Alors j'ai dû aller voir sur place, et ce que j'ai vu m'a fait tomber les galoches au fond du slip.
- Qu'avez-vous vu inspecteur ?
- J'y viens, figurez-vous que pour opérer, les skinheads avaient mis en place une sorte d’organisation. Il y avait toujours deux points de contrôle, un qui déterminait si c'était des fiottes qui passaient par là, et qui si oui, permettait des les détourner vers le deuxième, pour le redressage. Et mon petit cousin les précieux ont vite pigé le truc, et ils ont monté un prodigieux manège. Ils arrivaient au point de contrôle bras dessus bras dessous pour afficher la couleur.
- Afficher l'arc-en-ciel inspecteur !
- Dites euh, vous irez faire de l'esprit chez votre grand-mère ça lui fera plaisir et vous repartirez avec deux trois chocolats, maintenant vous la fermez. Je disais donc.. ils arrivent au dit point de contrôle, et forcément les skins, ils s'apprêtent à crier au loup de guilledou. Mais là l'un des joyeux il lui balance qu'ils sont peut-être plus forts, mais qu'à la course ils valent pas un pet de lapin. Alors les skins ils se marrent, mais les mecs leur rétorquent qu'ils sont infoutus de les rattraper d'ici le deuxième point de contrôle. Les skins, hilares, ils leur laissent même 10 mètres d'avance. La course démarre, et nos deux petits Mario et Luigi se carapatent bien comme il faut, suivis de près par les deux brutes. Et arrivés au niveau du deuxième point, les pédales s'exclament : " Au secours, ces deux mecs veulent nous enculer !" Alors là ni une ni deux, les autres skins du deuxième point, ils fondent sur leurs potes comme des buses de Harris pour leur piétiner la gueule. Et nos deux petits compères se cassent tranquille à l'anglaise. Je vous le dit, une telle intelligence, qui vainc sans violence et dans le feutré, ça avait de la gueule !
- C'est prodigieux inspecteur !
- Mouaip... C'était l'âge d'or ma petite cousine ! Maintenant on guérit presque le sida…
- Finissez donc votre cognac inspecteur !
Vous avez aimé ?
Ainsi étaient les années 70. Et telle est l’histoire de l'inspecteur Lecoq au café parisien face à la gay pride dans le Marais. Anecdote historique des années folles : résistance LGBTQ+ contre skinheads, homophobie et tabassage de nazi. Humour noir, liberté et communauté gay à Paris, un cocktail détonnant pour une histoire au relents sordides !
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- Picorer d’autres histoires : découvrez « L’inspecteur Lecoq et l’affaire du suçon dans le cou » – déjà en libre lecture sur La Plume du Coq.
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