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Get Appointment

Un jeune serveur en costume noir, tend une boisson à un client. Le client, un homme vulgaire, est mal habillé malgré le luxe du lieu.
Illustration signée Hpets, retrouvez le sur : https://hpets3011.blogspot.com/

          Trouver les mots justes, c’est important. Mais plusieurs définitions de ce que sont les justes mots peuvent entrer en compétition. Et dans ce genre de concours, chacun juge selon ses préférences. Voyez plutôt cette petite histoire !

Il y a, au Plaza Athénée, un serveur prometteur, voué à gravir l’échelle du service. Ce jeune homme a pour lui la diction parfaite d’un tragédien, la faconde des esthètes et un savoir inné pour les mots, à la manière du jeune Rimbaud. Et puis, il sait tenir un plateau, préparer un vodka martini dry au « secoueur » (comme il dit lui-même dans un français impeccable), et nettoyer une table. Les clients aiment bénéficier de son office, car, en plus de l’exact objet de leur désir, il n’hésite pas à leur servir un trait d’esprit, un jeu de mots ou une poésie.

En somme, ce n’est pas la moitié d’un connard, et le maître d’hôtel, dit-on, lui réserverait sous peu la place de barman en chef.

Un soir, c’est Dédé qui s’en vient au Plaza Athénée. Et Dédé, c’est plus que les deux tiers d’un con. Mais un con qui a la gagne au jeu. Non point grâce à un talent quelconque pour compter les cartes ou flairer le bon canasson : ce sont là, déjà, des activités de l’esprit trop élevées pour celui de Dédé. Son seul talent, qui lui est tout entier acquis, est d’être un parfait cocu. Et ce grand cornu dépense ses lotos dans le palace pour oublier la cause de sa chance, seule source de ses finances.

À peine met-il un pied dans la salle de restauration que le jeune serveur l’alpague et lui offre ces vers en alexandrin classique avec rime à la césure (qu’il improvise sur le tas) :

- Monsieur, c’est un plaisir que de vous accueillir 
Si vous me permettez, j’ai à vous proposer 
Dans ce menu d’élire votre choix et me dire 
Quelle boisson aimée aurais-je à rapporter.

- Ta gueule, pédé, demande-moi plutôt ce que je veux me foutre derrière la cravate au lieu de me chier ta poterie dans les esgourdes.

Hélas ! Dédé n’est pas homme de lettres. Même, sa légère dyslexie l’amène à confondre l’art d’enfiler les métaphores avec celui du modelage de récipients en terre cuite. Heureusement, le jeune serveur est un professionnel, et sans en prendre rien à son compte, il remercie son client de lui indiquer si virilement quel est son devoir, tout en lui tirant une chaise. L’odieux regarde cette action avec étonnement, tentant (en vain, l’incapable) de mesurer la distance qui sépare désormais le siège visé de la table convoitée.

- Tu crois quand même pas que je vais m’asseoir à cinq mètres de la putain de table ? Pédé.

- Oh non, Monsieur, jamais ! Pour vos fesses je vais 
Pousser cette chaise, et que cela vous plaise, 
Dès lors que vous aurez, avec joie, décidé 
De vous mettre à l’aise : politesse française.

- C’est qu’il me traite de métèque, le pédé ?

Cette fois, le jeune serveur s’autorise un léger coup d’œil vers le maître d’hôtel. Il craint en effet d’être tombé sur un récalcitrant, du genre à créer des problèmes inopportunément. Dans ce genre de situation, il ne faut pas perdre de vue deux informations. D’abord, le supérieur est un ami : il viendra gérer le client-ennemi avec ce savoir-faire précieux que cultivent les palais luxueux. Ensuite, le supérieur est un adversaire : c’est à son décret que tient de savoir qui est la cause, qui est l’effet, et si le servile employé n’aurait pas commis un méfait. Il faut donc déterminer avec soin si la situation exige ou non l’aide d’un patron.

Pour désamorcer le conflit, le jeune homme laisse à Dédé toute latitude pour asseoir lui-même son cul de parvenu sur le coussin molletonné. Il se dit également qu’il ferait mieux de passer à la prose, dans un souci évident de fluidité dans la conversation.

- Que puis-je servir à Monsieur ?

- Jean tonic, connard. - Car Dédé ne prononce pas « Gin », mais « Jean ». On ne sait d’ailleurs pas s’il fait exprès parce que cela le fait rire, ou s’il est juste complètement con. À vous, cher lecteur, de privilégier une hypothèse.

- Certes, Monsieur.

Le jeune garçon, buste droit et port de tête toujours impeccable, s’en va préparer le breuvage, qu’il lui remet avec un large sourire.

- S’il vous plaît, Monsieur.

- Ah, tu vas pas en plus me demander des trucs, pédé !

- Non, Monsieur. Je signifie juste à Monsieur que je suis son obligé.

- Comprends que dalle, barre-toi ! Pédé.

Le serveur s’emplit d’une vexation, qu’il chasse cependant dans un élan de professionnalisme. Oui, mais voilà, en jetant un dernier coup d’œil sur la table impeccable de son impoli protégé, il voit avec horreur qu’une diabolique mouche à miel vient – pour butiner peut-être – voler aux alentours du cocktail. Elle se frotte ses petites antennes, met une patte à l’eau, puis l’autre, puis l’autre, puis l’autre, puis l’autre… (les abeilles ont trois paires de pattes). Et voilà que le maudit animal se noie, criant si – elle le pouvait – contre ces maudites fleurs du mal que sont les baies de genévrier (renseignez-vous sur la composition du gin).

L’employé de salle ne peut contenir son stress en imaginant le scandale qui s’ensuivrait si l’homme venait à se faire piquer le gosier. Mais comment communiquer efficacement avec l’énergumène ? L’espace d’un instant, l’Apollon, se sentant Artémis, se prend pour aussi habile à la chasse qu’il ne l’est avec les phrases. Alors, dans un copieux effort, il applique une solide torsion à sa serviette pour en faire une arme, et tente de la claquer près du breuvage pour effaroucher l’hyménoptère. Bien sûr, s’il est adroit dans le service, porter un plateau n’est pas jouer du fouet, et son action n’eut aucun effet, si ce n’est que son coup frôla de près les joyeuses d’un Dédé abasourdi.

- Putain de pé…

Le jeune lauréat des terrasses interrompt l’éructation afin d’éliminer prestement tout malentendu. Il veut signifier qu’une inopportune tigrée sombre dans le rafraîchissement, qu’il y a danger, pour elle et pour tout buveur empressé ! Mais ! Mais… Malgré toute son éloquence, face à un Dédé rougeoyant de colère, les mots ne peuvent sortir selon son souhait :

- L’ab… l’abeille, la beille coule… LA BELLE COUILLE !!

Le quiproquo s’enfle en même temps que Dédé, pour qui les événements devenaient insupportables, lui qui aime assez peu qu’on lui flatte les testicules, tant en paroles qu’en gestes (ce que le lecteur attentif aura deviné à partir d’une analyse de son vocabulaire).

C’est le moment que choisit le maître d’hôtel pour faire irruption à la table. Lui, c’est à la finesse de son flair pour les situations conflictuelles qu’il doit sa place dans le palace. Et au moins autant à sa maîtrise de l’art diplomatique. Mais va-t-il punir le serveur, le jeter en pâture au client, prendre la responsabilité de tout, ou renvoyer cet odieux personnage insultant ? Les deux belligérants se retrouvent suspendus au prononcé de sa formule.

- Ah ! Monsieur Dédé ! Quel bonheur de vous revoir au Plaza Athénée. Et en parlant de voir, vous noterez l’excellente vue de notre jeune serveur ! Car effectivement, les testicules de cette abeille qui se noie dans votre Jean-tonic sont belles à s’en claquer une burne !

Sans rythme, sans poésie, et sans véritable sens, dans cette situation pourtant, ces mots étaient les mots justes ! Ils permirent à l’un de conserver son calme, à l’autre son emploi, chacun y trouvant à peu près son compte.

Vous avez aimé ?

Ainsi va le service au Plaza Athénée ! Un serveur talentueux excelle en poésie et service client. Ce jeune homme, futur barman, charme par ses talents. Mais face à Dédé, un client provocateur, et une abeille dans un Jean tonic, il ne pourra être sauvé que grâce aux mots justes.

Si vous avez aimé cette anecdote de palace parisien, n’hésitez pas à :

  • Cocori-commenter : un mot d’esprit vaut mieux qu’un long discours – dites-nous ce que vous en pensez, ou ce que vous aimeriez lire ensuite.
  • Picorer d'autres histoires : découvrez « Effeuillage par degrés » - déja en libre lecture sur La Plume du Coq.

Continuez à lire notre littérature grivoise, à la partager, et surtout… Cocoricouille !

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