Aller au contenu principal
Chargement…

Get Appointment

Les confessions zoocturnes

          Qui n’a jamais reçu un coup de coude de sa dulcinée alors qu’il s’abandonnait à faire vibrer sa cavité nasale à la faveur de Morphée. Alors ? Eh bien on grogne, on nie, puis on change tout de même de position pour faire mentir son romantique vis-à-vis. D’aucuns laissent même échapper un coup de tocsin porcin, en signe de protestation.

Moi-même, j’ai un ami à qui ce genre de billevesées est arrivé. Dans une version moins commensurable. Tenez, l’histoire prend place dans une petite bourgade bretonne entourée de pâtures. Dans ces pâtures : une masure en pierre de taille. Enfin quoi : un petit bout de France où vivaient heureux mon Jeannot, et Berthe, sa bonne femme. Hélas, cruelle comme sait l’être Madame Fortune, ils ne jouissaient point de ce cadeau nommé parentalité. Toute une ménagerie leur faisait cependant office de compagnie. L’on ne les voyait point sans aller avec leurs deux molosses : Lafayette le berger blanc suisse, et Isidore le labrador. La troupe était suivie d’un chat : un vieux greffier taciturne nommé Napoléon. Drôle d’hommage quand on sait que cet animal n’avait qu’une conquête : son propre entre-pattes, dûment léché toute la journée de sa rappeuse. N’oublions pas l’arrière-garde de cette drôle de garnison : Ségolène, une chèvre qui ne restait point au piquet. Ajoutez quelques poules, et vous aurez le tableau exact de cette bucolique entreprise qu’ils se plaisaient à nommer « famille ».

Avec un peu de lait de chèvre, Berthe faisait un petit fromage. Avec quelques œufs de poules, Berthe cuisinait de jolies omelettes. Et avec un bon paquet de merde de chien, elle faisait un très bon engrais pour ses endives « qui poussent comme la misère » disait-elle à Lafayette, qui n’aurait pas dit mieux. Jeannot réparait ceci, découpait cela, allait partout, de ravaudage en retapage, de rénovation en dépannage, et pas une seule seconde n’était à lui. Le soir, son labeur le payait en fatigue : « et cette fatigue, Monsieur, c’est du bonheur », disait-il à Isidore, qui n’aurait pas eu de meilleurs mots.

Un soir de mai, alors que la soirée avait fraîchi, et que la veillée au coin de l’âtre voyait sa fin arriver avec le dernier craquement de la dernière bûche consumée par la dernière flamme, les amants allèrent se coucher. Tout naturellement, ils furent suivis par l’entière ménagerie : une couche, ça se partage. Amitié animale.

Mais ce soir de mai, mon copain Jeannot avait forcé sur tout : le boulot, l’aligot, le porto. Alors que la lune culminait dans le ciel, et que chacun des mammifères présents dans la petite chambre se perdait dans un sommeil paisible, une vibration tonitruante se fit soudain entendre ! Berthe sursauta, extraite de son rêve par le bruit. Ses mains agitées cherchaient le calibre 12 tandis qu’elle s’exclamait :

- Ah ! Jean ! Les Allemands ! Ah !

Mais, quand le son revint en soufflet, elle baissa le regard et vit que la glotte de son mari constituait l’entièreté de l’élément perturbateur. Quel assourdissant sonnet pour gorge en sol majeur ! Berthe regardait avec haine l’être aimé ronfler.

Et Berthe, quelle âme ! Elle tenta de fermer les yeux… Rien n’y faisait : Jeannot s’était fait tractopelle, machiniste nocturne, ouvrier de l’insomnie du bâtiment. Toutes les huit secondes, temps de la rotation gutturale, l’épouse perdait un décile d’audition. Les chiens, le chat, la chèvre : tous dormaient, mais elle, non. Elle mit un grand coup de coude à la source du tapage. Dans le ventre, d’abord, dans les noix, ensuite, dans la glotte, enfin. Rien n’y fit, c’était le combat perdu d’avance de David contre Glotteliath. Solution : elle alla dormir au salon.

Le feu n’était plus que braises éparses, de même que les détonations du Jean-Jean s’étaient faites vagues complaintes lointaines. Et puis, après quelques instants, Berthe vit apparaître Lafayette qui, penaud (et même un peu coupable) se coucha près d’elle. Elle s’adressa à lui comme à un homme :

- Mon brave Lafayette, tu auras, toi aussi, été indisposé par les ronflements infernaux de ton maître ! – Le chien baissa les yeux. – Oh oui, je sais ! Tu me dirais que pas du tout ! Tout cela n’est que mélopée à tes oreilles de canidé ! Que tu n’es là que pour protéger la femelle égarée du troupeau ! Pfff ! Fidèle animal, va !

Le chien, qui sans nul doute comprenait tout, lui donna une léchouille aux airs d’acquiescement, contre laquelle il reçut une grattouille, tels sont les cours du marché de l’affection.

Alors qu’enfin, elle allait s’endormir, un nouveau bruit la surprit. Rien de démesuré cependant : le simple cliquetis des griffes d’Isidore sur le parquet. Lui aussi venait prendre son repos loin du tonnerre de maître Jeannot.

- Isidore, mon chien. Toi, tu n’es point berger, tu ne pourras dire que tu viens pour protéger la femelle ! Avoue ! Ah Isidore ! Près de ton maître, point tu ne dors !

Le labrador lui fit une réponse joyeuse avec sa langue affectueuse. C’est certain, le chien était indisposé, et celui-ci, plus que le berger, était d’une belle honnêteté. Oh, son amour pour Jean-Jean était intact, il n’en demeurait pas moins qu’il avait préféré le quitter avec tact : sans faire un bruit, lui.

Berthe allait enfin s’abandonner, et puis c’est Napoléon qui débarqua. Elle le regarda avec consternation, car il avait dans les yeux une rare fureur.

- Ah, le chat ! Oh, tu n’es pas comme les chiens, toi. Tu le détestes, ce vilain Monsieur qui dort chez toi et se permet, qui plus est, d’émettre cette cacophonie. Tu répondrais ton fiel si tu avais la parole. Mais quoi ? Je t’apprécie. Alors viens donc dormir avec moi, je te prends, et sans un bruit, mon ami.

Le chat, toujours haineux, s’exécuta tout de même, avant de se lécher, en guise de vengeance, ses testicules d’un air rageur.

Cette fois, Berthe ne tenta point le somme, elle attendait Ségolène. Elle vint sans tarder.

- Drôle d’idée de vivre avec une chèvre ! Ma chère Ségolène, mais Jeannot y tient tant… Et pourtant, toi, la plus aimante de nos amies, tu n’as pu souffrir sa rhapsodie ?

- Beeeeeh !

- Ah ! Comme tu es loquace, toi au moins, tu parles !

Et puis, surprise ! C’est Jeannot qui s’en vint. Il se frottait les yeux d’un air ahuri. Il ne savait pas vraiment où il était.

- De Diou, la Berthe, Seigneur Marie ! T’es plus dans le plumard, ça m’a réveillé. Puis je t’entends causer. À qui donc que tu causes ? De Diou !

Berthe, cette vieille farceuse, décida de jouer un tour à son crédule mari.

- Eh bien ! Nos animaux sont venus se plaindre. Figure-toi, Dieu a fait un miracle cette nuit : ils parlent. – Et profitant qu’il fît noir, elle se lança dans un numéro de ventriloquie. – Oui, c’est moi, Lafayette ! Je t’aime, maître Jeannot, mais, je dois l’avouer, tu fais un sacré bordel la nuit !

- De Diou ! Diablerie ! V’là le chien qui parle !

Jeannot essaie tant bien que mal de reprendre ses esprits, mais ses esprits sont petits. Berthe, moqueuse, continue :

- Oui, c’est moi, Isidore ! Jean-Jean, mon maître, je vous le confesse, le soir quand vous dormez, vous me faites trembler !

- De Diou ! V’là que l’autre chien cause ! Seigneur Marie !

- Et toi, Napoléon, qu’en penses-tu ? – Et Berthe prend une voix plus douce : oui ! C’est moi, Napoléon. Foutu taré, fieffé con ! Puisque vous le dites, j’en conviens aussi : il ronfle !

- De Diou ! V’là que le greffier s’y met ! Je pionce encore ? Ou c’est un miracle ? Ou diablerie ? Seigneur Marie !

Berthe se retient de rire, mais refuse de cesser :

- Et toi, Ségolène, un aveu à faire ? – Et l’épouse prend une voix plus féminine : Oui, c’est moi, Ségolène ! Confidence pour confidence…

- De Diou ! Ah non ! L’écoute pas, elle ! C’est rien qu’une menteuuuuuuse !

La farce de Berthe s’arrêta là, net. De même que son rire. Ainsi que son mariage.

Ainsi se trahissent bêtement les secrets dans nos douces campagnes.

Vous avez aimé ?

Ainsi va la vie rurale en Bretagne, où ronflements et animaux domestiques rythment le quotidien. Entre chiens, chats, chèvres et produits fermiers, dort une campagne française pleine d’humour et de tranquillité. C’est ici l’authenticité d’une ferme, entre fatigue, amour et veillées au coin du feu qui se joue.

Si vous avez aimé cette cette histoire animalière n’hésitez pas à :

  • Cocori-commenter : un mot d’esprit vaut mieux qu’un long discours – dites-nous ce que vous en pensez, ou ce que vous aimeriez lire ensuite.
  • Picorer d’autres histoires : découvrez « Incident acoustique en haute mer » – déjà en libre lecture sur La Plume du Coq.

Continuez à lire notre littérature grivoise, à la partager, et surtout… Cocoricouille !

Dernières publications

Le fourreur du bal
Les poèmes du coq

Le fourreur du bal

"Le dormeur du val" d'Arthur Rimbaud ? Non, "Le fourreur du bal" d'Arthur Riz-de-veau, son crétin de cousin...
Temps de lecture: 1min • Signé: Chirb
La Grosse Bertha avec un chien de berger.
Les histoires du coq

La Grosse Bertha

Vous connaissez la blague sur la femme moche qui va au supermarché ? En tout cas, cette histoire là, c'est sur que non !
Temps de lecture: 4min • Signé: Lactère
Top like M. Dagobert et l'histoire de la culotte à l'envers
Les histoires du coq

M. Dagobert et l'histoire de la culotte à l'envers

C'est un drôle ce M. Dagobert ! Du genre à mettre sa culotte à l'envers. Hélas pour lui, on peut parler de conséquences débordants largement l'horizon de sa maladresse !
Temps de lecture: 4min • Signé: Lactère
L'inspecteur Lecoq et l'affaire des chiottes sur le palier
Les histoires du coq

L'inspecteur Lecoq et l'affaire des chiottes sur le palier

L'inspecteur Lecoq est en vacances et nous raconte, avec nostalgie, une époque lointaine où les motels avaient leurs toilettes sur le palier. Cela ne manque pas de lui rappeler l'une de ses affaires policières les plus scabreuses.
Temps de lecture: 3min • Signé: Chirb
Jeanne et les brigands
Les contes du coq

Jeanne

Voici : "Jeanne", un conte fantastique à propos d'une jeune pucelle contrainte de se travestir pour mener la vie d'aventure dont elle a toujours rêvé...
Temps de lecture: 5min • Signé: Bitos
Un prêtre
Les contes du coq

Confesse-moi si tu peux

Une assemblée épiscopale vit une épopée lorsqu'ils accueillent une nouvelle ouaille. Mais ils vont se salir les fesses à force de l'enmener à confesse.
Temps de lecture: 3min • Signé: Bitos