Vous connaissez l’histoire ? C’est une blague, elle est fameuse. Une femme déambule dans un supermarché. Elle met dans son panier une banane, un yaourt, un steak haché, une tomate, une cannette de soda et une petite boîte de sardines. À la caisse, l’employé, qui passe les articles un à un, lui adresse un large sourire compatissant. Avant de lui annoncer le montant dû, il lui demande : « Madame, je ne me trompe pas en pensant que vous êtes célibataire ? » Elle, bien sûr : « Oui, c’est vrai ! Ah, vous avez devinez parce que je n’ai pris que des articles individuels ? » Ce à quoi le garçon répond : « Non, non pas du tout. C’est juste que vous êtes hyper moche ».
Haha ! On rigole, et mon copain Jeannot a bien rigolé quand je lui ai raconté.
Mais, une fois l’émotion passée, il reprend son souffle et me dit :
- Tu sais que cette histoire est réellement arrivée à Berthe, ma femme ? Enfin, à très peu de choses près. C’est elle-même qui me l’a raconté. Elle était partie le matin pour faire quelques petites courses. Et puis, elle est rentrée le soir vers minuit. Alors, elle me narre l’événement : le caissier, voyant son alliance au doigt, lui avait demandé, estomaqué, si elle était mariée. Naturellement, elle a répondu que oui, puis l’a interrogé sur les raisons de la question. Le jeune homme ne s’était pas démonté et lui avait répondu : « pardon, vu votre tête et votre tour de taille, je ne pensais pas ça possible ».
- Seigneur, Jean-Jean, pardonne-moi, je voulais simplement faire de l’humour… Si j’avais su…
- N’aie aucune crainte, quand ma rombière m’a raconté son anecdote, on en a ri tous les deux, et de tout notre soûl !
- C’est vrai que c’est croustillant… Mais attends une minute, mon Jeannot, pourquoi ta femme a mis la journée à faire « quelques petites courses » ? Ne me dis pas qu’en fin de compte, elle a fini avec le caissier ?
- Haha ! Non, aucun rapport. Et aucune chance... Je vais te le dire. Vois-tu, nous vivons à Riec-sur-Bélon : un petit village en Bretagne, près de Pont-Aven. C’est d’ailleurs de là que vient mon épouse. Elle y est née, elle y a grandi, elle y travaille aujourd’hui. Tout le monde la connaît, la Grosse Bertha, comme on l’a nommée dès sa plus tendre enfance. Ça te donne une idée du personnage.
- Seigneur… Je commence à comprendre pourquoi tu ne me l’as jamais présentée !
- Oui, c’est la raison... Elle est très, très moche, et plutôt très, très grosse. Alors, je n’ai pas forcément envie de me trimbaler avec mes encombrants quand je viens au bistrot pour écouter tes idioties, tu comprends ?
- Capiche… Donc, comment a-t-elle dépensée son temps pour ne revenir qu’à minuit ?
- J’y viens ! Mais il faut du contexte ! Notre petit coin de vie, c’est un grand coin de campagne. Et il s’y passe des choses que vous, les gens de la ville, ne pouvez pas soupçonner. Par exemple, sais-tu que le parking de la supérette du village est bordé par une superbe pâture ? L’herbe y est verte, les pissenlits y sont frais, et la rosée du matin y est semblable à du miel. Forcément, Dédé, notre éleveur bovin local, y fait paître son bétail : douze Bretonnes Pie Noir, cette race de vaches à la robe tachetée que chacun connaît. Dédé, c’est un phénomène dans le bled. Tous les habitants sont très heureux de pouvoir flatter la croupe de ses bêtes après leurs courses. Quand un Parisien passe par chez nous, en général, il reste plus de temps sur le parking à admirer les bovins d’un air idiot qu’à faire ses courses (et réciproquement, les parisiens produisant une fascination similaires aux bêtes). Forcément, ma Berthe, elle le connaît bien, le Dédé. Alors, elle passe le saluer :
- Comment va la santé ?
- La santé est bonne.
- Comment va la famille ?
- La famille est bonne.
Et puis, ce n’est pas tout. Quand on aime les animaux, on n’en a jamais trop, tout particulièrement quand on est éleveur. Dédé possède trois borders collies : des chiens de berger racés, dressés à leur tâche comme aucun autre cabot ne le sera jamais. Ceux-là, ils conduiraient un troupeau jusqu’au bout du monde si on le leur demandait. Ils pourraient traverser le Sahara sans perdre une seule vache. Et comme Dédé, tout le monde les connaît, et eux-mêmes, en bons gardiens, connaissent tout le village. Les chiens reconnaissent la Grosse Bertha, et en bons copains qu’ils sont, lui font une fête sans précédent. Alors, forcément, elle, moche mais polie, s’enquiert :
- Comment va Riri ? – elle lui donne une caresse.
- Sa santé est bonne – le chien remue la queue.
- Comment va Fifi ? – elle lui flatte le museau.
- Sa santé est bonne – le cabot fait tomber ses oreilles de joie.
- Comment va Loulou ? – elle va pour chatouiller le cou d’un troisième chien.
- Il est mort – le poil du cabot s’hérisse. – Lui, celui que tu vois et que tu prends pour Loulou, il est nouveau, je l’ai appelé Gontran, faute que Donald ait pas plus de neveux, tu piges ? Il connaît pas encore tout le monde, mais il est tout aussi doué que les autres.
Ma Berthe en est stupéfaite et attristée. Elle demande le pourquoi du décès, et l’interroge sur le comment. Il lui raconte, pleure un peu sur son énorme épaule. Ils se frottent un peu le dos l’un l’autre, en philosophant sur le sens de la vie.
- D’accord, Jeannot, mais tout cela ne saurait durer toute une journée.
- Non, évidemment, d’ailleurs, cela n’a duré que deux ou trois minutes. Enfin, quoi ? Le temps pour Dédé de faire au moins une fois le tour complet du dos de ma femme avec sa main. Pas plus.
- Mais alors ? Minuit ? Que s’est-il passé pour une rentrée si tardive au domicile conjugal ?
- J’y viens. C’est très simple. Après avoir réconforté Dédé, celui-ci plia ses gaules. C’est un éleveur occupé, et il ne reste pas à surveiller son bétail des jours durant. Il a maintes choses à faire. Des choses d’agriculteur, tu sais bien : faire des papiers, remplir des dossiers, réclamer des autorisations, payer des impôts, se suicider, ce genre de choses.
D’habitude, ce sont Riri, Fifi et feu Loulou qui restent dans la pâture près du parking pour s’occuper des vaches. Et ma femme, tandis que Dédé rentrait chez lui, s’en alla dans le sens contraire, vers sa Kangoo, parfaitement garée sur une place réservée aux handicapés (rapport à sa pondération).
Au moment où elle allait ouvrir la portière, c’est Gontran, le jeune border collie, qui se met entre elle et son véhicule, en lui aboyant dessus avec véhémence. C’est tout de même légèrement impressionnant quand on n’est pas habitué, alors ma femme recule vers la supérette, un peu inquiète. Mais quand elle prend cette direction, le chien fait un grand bond pour s’interposer entre elle et le magasin, et de nouveau, émet à son intention ses éructations canines. Cette fois, la Berthe tente de courir à sa voiture, mais Gontran la bloque et l’empêche de réaliser son projet de fuite. Apparemment, le manège a duré comme ça pendant un certain temps, jusqu’à ce que la Grosse Bertha soit contrainte de rejoindre le troupeau !
- Oh, Seigneur…
- Le Seigneur est un berger, dit-on : Gontran aussi. Mais il ne connaissait pas encore bien toutes les vaches, dont ma femme ! Il aura fallu attendre que Dédé revienne dans la nuit pour qu’il mette fin à la méprise. Alors, c’est te dire, les blagues sur les femmes moches, à la maison, qu’est-ce qu’on en rigole !
Vous avez aimé ?
Ainsi vont les moches ! Au supermarché de Riec-sur-Bélon, en Bretagne, entre un caissier taquin, la Grosse Bertha et les vaches Bretonnes Pie Noir, on tient une belle anecdote sur une tranche de vie rurale. Les borders collies et les pâturages de la campagne bretonne sont à mourir de rire !
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